29.17. L'incomplétude des systèmes formels et les mathématiques intuitives.

Depuis le début du siècle, deux découvertes fondamentales ont complètement bouleversé nos systèmes de pensée. La première a été la découverte des géométries non-euclidiennes qui nous ont forcés à admettre comme relatives des valeurs considérées jusque là comme absolues. Cette crise des valeurs a conduit à différentes réactions que je n'analyserai pas ici ; l'une des principales a été de se réfugier dans l'efficacité des systèmes algébriques. Arrive alors le deuxième coup : le théorème de Gödel. Si un système est cohérent, i.e. si côté positif et côté négatif sont disjoints, il est incomplet. De plus, un système ne peut trouver sa cohérence interne que grâce à des éléments extérieurs. On ne peut donc avoir de système global. On a des systèmes qui se croisent ou non. Le problème est : comment passer de l'un à l'autre. Il semble que maintenant ce problème soit le plus actuel dans la plupart des domaines, surtout dans les sciences biologiques et ce qu'on appelle les sciences humaines, notamment en économie.

Dans le même temps que Gödel, Brouwer mettait aussi en question les mathématiques classiques. Mais au lieu de demeurer sur le plan logique, il chercha constamment à dépasser celui-ci par sa théorie intuitioniste et ses exigences de constructivité. Sa première thèse, en 1909, traite de la "genèse intuitive" de la série des nombres naturels et montre que les mathématiques, en tant que possibilités constructives, sont distinctes et dépassent tout formalisme logique dans lequel on cherche à les enfermer. Ensuite, il s'est constamment opposé à la théorie des ensembles de Cantor et de Zermelo, qu'il rejette presque entièrement puisqu'il n'admet ni l'axiome du choix ni celui du bon ordre, qui sont en fait équivalents. L'axiome du bon ordre assume dans tout ensemble non-vide l'existence d'un plus petit élément, ou minimum. Brouwer refuse d'en admettre l'existence à moins qu'il ne soit effectivement construit. C'est cette exigence constructive qui fait l'originalité de sa théorie du continu.

En effet, "pour le mathématicien classique, définir un nombre réel, c'est fixer une certaine entité qui se trouve déjà dans une multitude d'entités préexistantes ; pour l'intuitioniste, c'est créer une entité nouvelle par une suite de choix libres. Cette nouvelle entité appartiendra à un certain ensemble, si l'on a respecté les restrictions de la liberté de choix qui sont énoncées dans la loi de déploiement qui définit cet ensemble". Pour les intuitionistes, le nombre réel ne peut donc être connu que par ses générateurs (suites de fractions par exemple). Il n'introduit pas une coupure nette dans le continu linéaire fermé [0, 1]. De sorte que si l'on divise ce continu en deux espèces telles que tout nombre appartienne à l'une ou l'autre espèce et qu'aucun nombre n'appartienne à toutes les deux, alors l'une ou l'autre espèce sera vide. Ce qui revient à dire que ce continu n'admet pas la notion de complémentaire au sens classique.

Cette exigence intuitioniste rejoint ce qu'on trouve en topologie lorsque que l'on veut passer de la deuxième à la troisième dimension. En effet, en deux dimensions, on peut étendre un homéomorphisme sur une courbe simple fermée à tout l'espace E exp2. En d'autres termes, il n'y a qu'une façon de se placer dans cet espace et le complémentaire d'une courbe est parfaitement déterminé.[...]

C'est cette notion d'efficacité maximum, de rentabilité maximum etc. qui est battue en brèche actuellement et ce nous semble une conséquence du théorème de Gödel et de la critique Brouwérienne. Il faut donc se résigner à une mathématiques plus difficile, où l'on est moins expert, mais qui tente d'échapper à cette fatale limitation. L'approche SYSTEMA en utilisant l'arithmétique des nombres premiers va justement dans ce sens.[2 pages d'arithmétique]. En conclusion, cette approche SYSTEMA, développés à partir de motivations fort différentes, répond pour l'essentiel à la critique de Brouwer et ouvre une voie pour débloquer les systèmes condamnés à l'incomplétude par Gödel.

---Extrait de l'intervention de Lise Lafrenière au colloque des 10,11et12 juin 1975 à l'ENSTA ---

(Il faut bien rendre hommage à l'être humain qui m'a donné la vie et m'a appris à réfléchir)

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