91.17. Mahatma Gandhi.

Gandhi faisait remarquer que la non-violence était aussi vieille que les montagnes et que, par conséquent, il n'avait rien de nouveaux à apprendre aux hommes. Gandhi, en effet, n'a pas " inventé " la non-violence. Celle-ci s'enracine dans les plus anciennes traditions religieuses, spirituelles et philosophiques qui constituent le patrimoine universel de l'humanité. Cependant, l'apport de Gandhi est essentiel pour la compréhension de la non-violence. Tout d'abord, c'est Gandhi qui a offert à l'Occident le mot " non-violence ". Le mot sanscrit est " AHIMSA ", il est utilisé dans la littérature hindouiste, jaïniste et bouddhiste. Il est formé du préfixe négatif a et du substantif himsa, qui signifie le désir de nuire, de faire violence à un être vivant. L'ahimsa est donc la maîtrise et le renoncement au désir de violence qui est en l'homme et qui le conduit à vouloir écarter, exclure, éliminer, meurtrir l'autre homme. La non-violence parfaite, écrit Gandhi, est l'absence totale de mal-veillance à l'encontre de tout ce qui vit. Sous sa forme active, la non-violence de s'exprime par la bienveillance à l'égard de tout ce qui vit. C'est l'amour pur. Aucun autre terme anglais, précise Gandhi, ne peut mieux exprimer tout les sens d'ahimsa que le fait le mot " innocence ". Innocence vient du verbe latin nocere (faire du mal, nuire) provient lui-même de nex, necis, qui signifie mort violente, meurtre. Ainsi, l'innocence est-elle la vertu de celui qui ne se rend coupable envers autrui d'aucune violence meurtrière. Cependant, de nos jours, le mot innocence évoque plutôt la pureté suspecte de celui qui ne commet pas le mal beaucoup plus par ignorance et par incapacité que par vertu. La non-violence ne saurait être confondue avec cette innocence-là, mais cette distorsion du sens de ce mot est significative : comme si le fait de ne pas commettre le mal révélait une sorte d'impuissance. Gandhi réhabilite l'innocence comme la vertu de l'homme fort et comme la sagesse de l'homme bon. L'idéologie qui domine notre culture nous inculque une conception positive de la violence. Il nous faut prendre conscience du formidable conditionnement socio-culturel qui pèse sur nous depuis des siècles et qui nous fait croire que la violence est non seulement nécessaire, mais qu'elle est légitime et honorable. Tant que nous considérerons la violence comme la vertu de l'homme fort qui se bat pour faire prévaloir la justice et défendre la liberté, la non-violence ne pourra être à nos yeux que la faiblesse de celui qui n'a pas le courage d'être violent. Ce que Gandhi a montré, non seulement par la parole mais aussi par l'action, c'est que, si la violence est préférable à la lâcheté, la non-violence est préférable à la violence. Pour Gandhi le principe de non-violence et de la recherche de la vérité sont si étroitement enlacées qu'il est pratiquement impossible de les démêler et de les séparer l'une de l'autre. Gandhi a cependant conscience qu'il serait insensé de prétendre vivre une non-violence absolue ou déliée de la réalité. Tant que nous sommes des êtres incarnés, dit il, la non-violence parfaite n'est qu'une théorie comme celle de la ligne droite d'Euclide, mais nous devons nous efforcer de nous en rapprocher à chaque instant de notre vie. Si la non-violence ne peut être absolue, elle doit être radicale -- du latin radix qui signifie racine -- c'est-à-dire qu'elle doit s'efforcer de déraciner la violence, de la faire dépérir en détruisant ses racines culturelles, idéologiques, sociales et politiques. Pendant plus de cinquante ans, Gandhi s'est efforcé de défaire, de démonter élément après élément, l'idéologie dominante de la violence nécessaire, légitime et honorable, en récusant les objections, en réfutant les critiques, en désarmant les accusations qu'on n'a cessé de lui présenter. Il nous invite à prendre conscience de toutes les complicités que nos cultures ont entretenues avec l'empire de la violence. Nous pourrons alors mesurer l'urgence qu'il y a à développer une véritable culture de la non-violence. Ce qui menace la paix, partout dans le monde et dans chacune de nos sociétés, ce sont les idéologies fondées sur la discrimination et l'exclusion -- qu'il s'agisse du nationalisme, du racisme, de la xénophobie, de l'intégrisme religieux ou de toute doctrine économique fondée sur la seule recherche du profit -- et qui toutes ont partie liée avec l'idéologie de la violence. Ce qui menace la paix, en définitive, ce ne sont pas les conflits, mais l'idéologie qui fait croire aux hommes que la violence est le seul moyen de résoudre les conflits. C'est cette idéologie qui enseigne le mépris de l'autre, la haine de l'ennemi ; c'est elle qui arme les sentiments, les désirs, les intelligences et les bras. C'est elle qui instrumentalise l'homme en faisant de lui l'instrument du meurtre. C'est donc elle qu'il faut combattre. Gandhi ne nous offre pas des réponses à répéter, mais il nous invite à poser les questions essentielles dont l'enjeu concerne le sens même de notre existence et de notre histoire. Signé : Jean-Marie Muller. Extrait du n° 1 de " Cahiers de la Réconciliation ".

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