99.30.Ultralibéralisme ou écologie politique?

L'idéologie économique grâce au prodigieux matraquage médiatique n'est plus considéré comme une idéologie, c'est même pour certains -- Fukuyama et les néo-conservateurs -- "La fin de l'histoire". Selon eux, nous n'avons pas le choix. Nous devons, bon gré ou malgré, nous soumettre à la loi du marché, à la main invisible telle qu'inventé par Adams Smith. La sacro-sainte économie capitaliste, nouvelle religion qui impose sa domination à l'ensemble du globe ! Toute-puissante elle détruit la planète : pollution des éléments naturels, déforestation, création d'organismes génétiquement modifié... Non contente, elle asservit et exclut des populations entières. Pour maintenir son dogme, elle donne à chacun un contrat social se limitant à : se plier ou être brisé. Le système éducatif, la publicité, les médias, conditionnent les esprits, violent la liberté de pensée et dictent les modes de vie. Face à la peur de l'exclusion la soumission à la loi de marché devient totale et l'individualisme, la compétition se développent. L'indifférence face à ceux qui sont victimes de la misère se banalise.

Les détenteurs du pouvoir financier appuyés par leurs relais politiques, intellectuels et médiatiques, et servis par le prodigieux développement de la technoscience, ont entrepris et presque réussi la colonisation de la planète. Ces transnationales imposent à toutes les formes de vie - humaines ou non - une même civilisation qui se teinte des cultures qu'elle absorbe. Partout, des mémoires et des savoirs millénaires sont effacés, des danses et des costumes sont oubliés, des dieux et des temples délaissés, des peuples et des cultures disparaissent pour toujours. Partout des champs sont surexploités et des écosystèmes dévastés. Dans chaque pays les valets politiques et technocratiques des firmes transnationales trahissent les intérêts de leurs communautés en oeuvrant à la généralisation de la guerre économique et à l’uniformisation du vivant. Car, contrairement à ce que nous répètent les médias et quelques naïfs, ce n’est pas l’amour entre les hommes qui est le véritable moteur de cette mondialisation, mais, uniquement la loi du profit.

Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? Comment s'est imposé la technoscience en tant que croyance dominante ? Pourquoi la vision politique de la caste des commerçants devenus économie politique puis science économique s'est imposée comme la pensée unique ?

C'est à partir de la renaissance que l'économie politique -- l'expression apparaît en 1615 -- devint une discipline de pensée, détaché de la philosophie est préoccupé exclusivement de la création et de la circulation des biens matériels. L'économie politique se transformera en sciences économiques, cette mutation fut favorisée par le recours de plus en plus fréquent à l'arsenal mathématique -- essentiellement l'analyse et la statistique.

En fait la "science économique" est une imposture, elle n'a qu'un seul objectif : contribuer à convaincre et soumettre le peuple au choix philosophique, au choix politique qui a été fait au 18e siècle par la caste des commerçants.

Le problème de toute société peut se résumer ainsi : comment canaliser l'énergie humaine, c'est-à-dire : 1. Comment produire les richesses, ce qui grâce à la technologie n'est plus vraiment un problème ! 2. Comment donner à chacun l'opportunité de se rendre utile à la communauté ? 3. Comment répartir les richesses produites (Principal problème : toutes les révolutions sont la conséquence d'une mauvaise répartition) ? Et 4. Comment sacrifier l'énergie humaine excédentaire ?

Pour bien comprendre ce dernier point, il est utile de revenir à la théorie du potlatch exposés par Mauss et sur l'essai de Georges Bataille, " la part maudite " écrit en 1949. D'après Bataille, il y a toujours excès, parce que le rayonnement solaire qui est à la source de toute croissance est donnée sans contrepartie, donc il y a accumulation d'une énergie qui ne peut qu'être gaspiller dans l'exubérance et l'ébullition. Dans l'ensemble, une société produit plus qu'il n'est nécessaire à sa subsistance, elle dispose d'un excèdent, c'est l'usage qu'elle en fait qui la détermine : le surplus est la cause de l'agitation, des changements de structures et de toute l'histoire. Le potlatch occidental, c'est la société de consommation, certes c'est mieux que la guerre mais ne pourrait-on pas trouver d'autres moyens de sacrifier l'excédent ? Pourtant, les jeunes gens de la fin des années soixante critiquaient la vanité de la rationalité occidentale, l'hypocrisie du mode de vie, l'absurdité de la société de consommation.

Après avoir fumé quelques joints et faute d'avoir trouvé une autre voie, ils s'empressèrent de réintégrer la société en créant des agences de pub, de communication, de marketing, et/ou en créant de nouveaux objets comblant des besoins nouvellement créés. Aujourd'hui, l'élite de la jeunesse occidentale -- les nouveaux Bazarovs (voir Eco-philosophie de Henryk Skolimowski) -- la tête bien pleine de rationalité, ont bien appris leurs leçons -- la seule mine inépuisable c'est la bétise humaine -- alors ils passeront leur existence à faire con-sommer et à con-sommer des GTI Turbo, des brosses à dent triples têtes, des couches super absorbantes avec retensorbe (mais jusqu'où s'arrêteront-ils ?). Ceux qui se croient les plus intelligents font courir les autres avec des diplômes, des promotions, des titres et autres carottes ; ou leur font peur en brandissant la menace de l'insécurité, du chômage et autres bâtons.

L'origine de la pensée libérale remonte à la renaissance. Face à l'obscurantisme religieux, émerge la foie en la raison comme idéal et comme moyen pour comprendre la nature. Donc, contre la recherche d'un bonheur dans l'au-delà, on propose l'optimisme de la science. D'un point de vue métaphysique, l'Occident a basculé progressivement de la croyance en l'existence d'une entité ou d'un soi permanent, unique, indépendant, créateur de l'univers -- la judéo-chrétienté ou éternalisme -- à sa négation -- le matérialisme scientiste ou nihilisme. Le libéralisme est un ensemble hétérogène d'idées qui se fondent sur la croyance que l'homme a la possibilité de se rendre maître de l'univers pour la conquérir et en jouir.

Toutes les sociétés finissent par s'écrouler. La nôtre est un peu comme ces "programmes de recherche" qui finissent par devenir stériles. Il faut alors accepter de nouvelles idées parce que les précédentes n'ont plus rien à donner. Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir que toutes les autres sociétés ont subi le même sort. L'exemple de la Cité grecque, ou celui sans doute encore plus frappant de la chrétienté médiévale, au XIIIe siècle, au temps de saint Louis et de saint Thomas. À cette époque, les gens devaient croire que la chrétienté était une réalité éternelle, et puis elle s'est effondrée relativement vite. L'idée que nous représentons le sommet de l'histoire humaine n'est qu'un préjugé, un mythe parmi d'autres.

L'ultralibéralisme, aboutissement de trois siècles d'histoire du capitalisme, ne peut perdurer éternellement. Comme tous êtres vivants, système, empire ou civilisation, le capitalisme a vécu et il va mourir, c'est dans l'ordre des choses. Le commerce et donc la consommation ne peuvent être une finalité. Les commerçants et les financiers ne doivent pas décider de l'avenir des hommes -- surtout quand la philosophie qui les anime est matérialiste et nihiliste --. Il s'agit de replacer l'ordre des priorités. L'homme ne peut pas vivre sans spiritualité, c'est même le sens profond de l'existence humaine. Vient ensuite une morale d'où découlent des valeurs humaines et environnementales. Puis la gestion de la cité des hommes -- la politique -- doit s'exprimer en accord avec des valeurs humaines justes, au sein d'une réelle démocratie, et non pas dans une démocratie hypocrite tenue par les commerçants-financiers. Enfin, après une spiritualité, une morale et une politique réellement démocratique, le commerce trouve sa place. Une voie existe, ni ultra-libérale, ni totalitaire et forcément démocratique qui renoue avec notre nature profonde et notre mère à tous : la terre. On pourrait s'arrêter de s'agiter, de travailler, de consommer, de polluer pour réfléchir, parler, partager et peut-être alors redécouvrirons-nous nos vraies valeurs, notre vertu et notre sagesse fondamentale pour repenser nos façons d'agir, notre travail, nos relations avec autrui et avec la nature. La France, territoire relativement homogène et Terre d'accueil, de tolérance et d'échange, pourrait être le théâtre d'une vraie révolution, mais contrairement à l'exemple sanglant de 1789, elle donnera peut-être l'exemple d'une révolution non-violente, d'une révolution profonde de notre esprit et de notre relation à la nature. Voulez-vous imaginer le Monde du 21ième siècle ? L'avenir de l'humanité sera spirituel et écologique ou... je préfère ne pas l'imaginer !

Marc Jutier                                               jutier@planete.net

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